Room 237

À sa sortie en 1980, the Shining est descendu par la critique. Kubrick et Shelley Duvall seront même nommés aux Razzie Awards (pire réalisateur et pire actrice).
De nos jours la question ne se pose même pas, Shining fait parti des grands films de l’histoire du Cinéma.

Entre temps les spectateurs ont eu tout le loisir de le voir et de le revoir. Très mystérieux, difficile d’accès, Shining passionne et donne envie de d’y retourner ; il laisse toujours cette impression que l’on a raté quelque chose, la clé qui s’y trouve forcément, l’indice qui explique tout le film.
Et à force de chercher, on trouve. Parfois aussi on devient un peu barge et on s’auto-persuade.

Des les années 80 des spectateurs ont commencé à voir des indices, des signes, formant pour eux la clé de l’énigme, la signification du film.
À cette période bennie (Spielberg… Tchernobyl, la privatisation de TF1) l’arrivée de la VHS offre à ces passionnés – parfois un peu théoriciens du complot – le loisir de revoir le film à leur guise, de le passer au ralenti et d’en analyser chaque image à l’arrêt (à l’arrêt tremblotant d’une VHS en 352 lignes).

Room 237 rend hommage à ses gens, qu’il serait facile de traiter d’illuminés, en offrant au spectateur profane l’opportunité de découvrir plusieurs de ses théories, extraits – haute définition – à l’appui. L’opportunité de se faire sa propre idée ; de s’en amuser aussi, soyons honnêtes.
Hommage aux indiens d’Amérique, révélation du faux alunissage d’Apollo 11, film sur la sexualité, film miroir pouvant être regardé à l’envers (l’occasion d’une expérience a priori très intéressante, de superposer sur le même écran le film lu à l’endroit et à l’envers).

Si la démocratisation d’internet aurait du permettre à ses théoriciens du complot de comprendre qu’ils ne pouvaient pas tous avoir raison, Room 237 ne les remets jamais en cause, ne confronte jamais les thèses, les intervenants ne se sont pas rencontrés et nous ne les verrons même pas à l’écran : tout ce passe en voix-off, et est illustré d’extraits de Shining, ainsi que de stock shots d’autres films pour toujours coller à leurs propos.

La théorie selon laquelle Kubrick a tourné en studio pour la NASA par exemple, veut que les images d’Apollo 11 montrent explicitement des décors de fond projetés (voir Columbo épisode 47  pour un exemple, techniquement incorrect mais follement sympathique) : le documentaire nous montre des images d’alunissage Américain (que l’on supposera être Apollo 11), mais l’hypothèse que l’arrière-plan soit un trucage de cinéma ne transparait absolument pas sur la toile. Nous avons les dires de notre voix-off, des images d’Apollo 11… mais rien qui ne saute aux yeux.

« Run, you clever boy. And remember me. »

« Run, you clever boy. And remember me. »

Si Room 237 ne juge pas, ne prend pas parti, il met par contre en scène ces théories de la plus belle manière qui soit et revoir des passages de Shining en numérique remasterisé suffit pour vouloir revoir le film de Kubrick dès les premières minutes. Alors une fois arrivé à la fin, avec toutes ces nouvelles théories en tête, ça devient une obsession. La musique n’est pas en reste et permet elle-aussi de prendre son pied durant la projection.

Room 237 a toutefois un défaut : il tourne vite en rond. Alors qu’on nous l’annonce découpé en neuf chapitres, les interventions, indépendantes, finiront par se croiser. D’un côté ce n’est pas toujours facile à suivre et dans le même temps on a parfois l’impression d’entendre les intervenants se répéter. Ce documentaire est trop long.

Mais au delà de l’exposition donnée à ces gens sympathiques, et du plaisir plastique des images et de la musique, Room 237 permet aussi de s’interroger sur les analyses de films en général.
En école de cinéma, en projections évènements accompagnées de conférences, dans des revues spécialisées ou sur internet, nous sommes tous tombés au moins une fois sur une analyse de film. Ce moment où quelqu’un vous apprend que « En présentant cette première scène dans le noir, le réalisateur ne veut pas seulement montrer que l’électricité est coupée, mais surtout dévoiler la noirceur de son personnage ; et quand il se tape le pied contre la table, le cri primaire qui en découle n’est en réalité pas un élément comique, mais l’expression enfin libérée de cette noirceur ; préparant le spectateur, inconsciemment et dès la première minute, au climax final où le personnage écrasera un hamster avec sa voiture, acte qui paraitra accidentel, mais que l’on comprend maintenant comme tout à fait volontaire. »

Faut-il prendre ces cours de cinéma pour argent comptant ou comme une aide pour développer son propre sens de l’image ? Doit-on croire tout ce qu’on nous raconte (y compris dans les documentaires) ? Ma citation précédente, fictive, serait bien différente si j’avais invoqué un autre spécialiste (fictif ^^).
Se mettre à la place du réalisateur, quel pari risqué. Comment savoir si une analyse de film est juste, si elle retranscrit la volonté du réalisateur, ou n’est que le résultat de l’imagination de celui qui regarde ? Combien de fois en interview a-t-on entendu un réalisateur répondre « je n’y avais pas pensé, mais maintenant que vous le dites, ça correspond bien, c’est amusant« .
Pendant un instant, Room 237 répond à cette question : racontant que Kubrick, sur un thème qui m’a échappé, avait officiellement démenti une théorie.
Pendant 1h42, Room 237 répond à cette question : ces spécialistes de Kubrick, ces théoriciens de Shining, ont peut-être raison… mais ils ne peuvent pas avoir tous raison.

Shining : Danny effrayé.

« Mais qu’est-ce que tu me racontes là ? »

Attention, c’est en fait plus compliqué : peut-être que Kubrick a fait un méta-film sur la sexualité, l’holocauste, Apollo 11, les Amérindiens, la mythologie, et j’en passe. Mais aucun de nos amis n’évoque cette possibilité. C’est donc ma théorie à moi.
Et j’en ai une autre : Kubrick a juste fait un film plein de faux indices, sans réel fond (je vous entend au fond, à dire « comme Lost » : taisez-vous !) mais dont les images sont pensées pour pouvoir illustrer un futur documentaire sur l’œuvre. Parce que voir la bobine effrayée de Danny projetée sur les paroles complètement barrées de nos théoriciens, c’est divin. Sacré Stanley, il avait vraiment pensé à tout !

Bref, Room 237 est certainement un peu long, mais il est tellement rigolo, offre des images tellement belles (Shining, quoi), une musique originale tellement dans le ton, et fait tellement réfléchir, qu’il serait gênant de passer à côté.
Faut-il avoir vu Shining auparavant ? C’est préférable. Voir Room 237 en premier vous amuserait, les extraits restaurés vous donneraient assurément envie de voir le film, mais… le documentaire spoile un peu, alors si vous ne connaissez toujours pas la signification de REDRUM, il serait préférable de le découvrir au travers de la fiction, et non du documentaire.

À l’heure ou je publie ce billet, le film passe encore dans une seule salle à Paris : au Mk2 Bastille. Ne perdez pas de temps.

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