Test de Scribzee : le cahier connecté par Oxford

Ça fait maintenant quelques temps que la marque de papeterie Oxford se lance dans le numérique, et développe son idée un peu plus chaque année : développer une application qui permette de numériser les pages de cahier, à l’aide d’un simple symbole au bord des feuilles.

Partis en 2014 d’un logiciel par type de cahier, Oxford dispose maintenant d’une application (iOS (9.1 minimum) et Android (5.0 minimum)) unique et communique pas mal dessus : Scribzee.

Je me suis retrouvé par hasard a acheter un cahier « compatible », et j’en ai donc profité pour tester le système. La promesse est simple : à l’aide d’une application qui reconnait les marqueurs sur le papier, notre smartphone va photographier la page et la redresser pour en créer une copie numérique, sous forme de photo (je présume, mais peut-être peut-on directement sortir des PDF depuis le logiciel ?). L’idée est toute conne et forcément géniale, car bien pratique dans certains cas.

le cahier

Un cahier comme les autres.

Un cahier comme les autres.

Le cahier ressemble à n’importe quel cahier. Le miens est orange flashy et à spirale, avec des petits carreaux, et c’est même pour ces trois raisons que je l’ai acheté. La compatibilité Scribzee n’est même pas précisée par la couverture (on aurait pu imaginer un autocollant léger ne laissant pas de traces), il faut l’ouvrir à la 1ère page pour découvrir une note explicative ou le feuilleter pour remarquer les pictogrammes dans les coins.

 

Présentation de Scribzee.

Présentation de Scribzee.

Des pages presque comme les autres.

Des pages presque comme les autres.

le téléchargement

Sur la première page du cahier, un QR Code m’invite à télécharger l’application. Premier étonnement de ma part : celui-ci ne mène pas directement au site d’Oxford, mais comporte en réalité une URL en Bit.ly !

Vous vous dites qu’on s’en fout ? Ça me semble une erreur stratégique : Oxford possède ses serveurs, il n’y a aucune raison de confier une étape (supplémentaire et inutile) à une société externe sur laquelle ils n’ont aucun contrôle : faut-il rappeler que l’extension .ly est celle de la Libye ? Qu’officiellement, les sites en .ly comme Bit.ly doivent (devaient tout du moins, en 2011 sous Kadhafi) respecter la charia ? Et si demain Bit.ly décide de devenir payant ? Oxford ne pourrait que modifier la maquette de tous ces modèles pour y insérer un nouveau QR Code, ce qui prendrait du temps (je ne sais pas combien, mais je pense qu’une rentrée scolaire commence à s’imprimer et se stocker des mois et des mois en avance, à la manière des chocolats de Noël) et des centaines de milliers de cahiers seraient sur le point d’être vendus avec un lien qui ne mène plus jusqu’à Scribzee. Voir qui mène à un virus ou à un site porno, après piratage de Bit.ly, tout en étant totalement dépendant de l’action de cette société pour régler le problème 1. On s’en fout ?

Bref. J’arrive donc sur le site de Scribzee. Je sais déjà ce qu’est Scribzee, j’ai vu la page de garde du cahier. Ce n’est pas compliqué. Et ensuite je découvrirai l’application elle-même, qui éventuellement s’ouvrira sur un tutoriel. Je m’attends donc à arriver sur une page assez simple, me proposant directement de télécharger l’application sur l’Apple Store ou le Play Store. Voir, même, que le site détecte seul mon système d’exploitation et me redirige automatiquement sur la boutique de mon téléphone. Simple, net, sans bavure : on pourrait se retrouver à télécharger l’application en 1 scan (du cahier) et 1 clic (sur le store), sans même interagir avec Oxford. Hop, un client qui télécharge, pari réussi !

Erreur !

ERREUR !

ERREUR !

J’arrive sur une page totalement interminable. Elle commence par deux dessins animés hébergés sur YouTube mal mis en page sur mon écran (responsive design mon amour), ensuite il y a des tonnes de paragraphes de texte, et tout en anglais : pourquoi Scribzee, pour qui Scribzee. Putain mais : POUR MOI ! J’ai scanné le QR code pour télécharger ton application, pas besoin d’essayer de me convaincre !

Je prend donc mon courage à deux mains, et je continue de faire défiler la page. Celle-ci est haute d’à peu près dix écrans d’iPhone !!! Je vous offre d’ailleurs, ci-dessus, une reconstitution de la page, à partir de quatorze captures d’écran.

C’est tellement relou que je ne soulignerai même pas les petites absurdités telles que les boutons des stores dégueulasses en basse définition et les deux icônes Facebook.

À noter que ce test a été mené il y a une dizaine de jours. Si je réessaye ce soir, la page est toujours en anglais mais les miniatures YouTube s’affichent correctement, le texte est plus petit de façon générale, et je n’ai plus qu’une icône Facebook mais avec, en dessous, le nom de la page concernée :

Et si je googlise Scribzee sur un ordinateur de bureau, le moteur de recherche m’emmène sur cette page :

Scribzee sur ordinateur de bureau.

Scribzee sur ordinateur de bureau.

C’est la même, mais en français, et avec les deux icônes Facebook mais les noms des pages respectives indiqués en dessous de leurs icônes respectives. Voila un mystère de réglé.

l’application

Me voici enfin — pas que ça est été long, mais particulièrement facepalmant — avec l’application sur mon iPhone. Je vais pouvoir « scanner » une page et savoir si la correction géométrique est bonne. Ça m’intrigue beaucoup.

J’ai beau m’être tapé une page entière d’explications avant de télécharger, j’ai droit à une sorte de manuel en 3 pages avant de commencer.

page 1

page 1

Simple résumé du b.a.-ba de Scribzee. OK.

page 2

page 2

« L’ensemble de vos pages numérisées sont sauvegardées sous votre compte dans le Cloud OXFORD. » Euh… là je prend peur. L’ensemble ? L’ensemble ? C’est forcément un abus de langage : moi je veux juste numériser mes notes papier dans mon iPhone, pas envoyer tous mes écrits sur le serveur d’une société privée en qui je n’ai aucune raison d’avoir confiance (aucune raison de base, mais en plus ils passent par Bit.ly sans raison, c’est déjà une preuve d’amateurisme) ¿! Pas de panique, il y a forcément un moyen de simplement enregistrer les documents en local.

page 3

page 3

Ah, une inscription. Oui, normal pour le stockage en ligne. Où est le bouton pour utiliser l’app sans inscription ? Sans doute bien caché. Non ce petit lien textuel, ce sont les CGU. Ben… ah… mince… Il faut obligatoirement s’inscrire ? Pour bêtement scanner des feuilles de papier ? Qu’ils aillent se faire foutre. J’ai désinstallé l’application à cette étape.

Faudrait pas me prendre pour un con. Nous sommes inscrits sur de plus en plus de sites, à de plus en plus de cartes de fidélité, dans de plus en plus de bases de données appartenant à de plus en plus de sociétés. Je commence à prendre conscience que je ne dois pas le faire à tout bout de champ sans une bonne raison. Et clairement, vouloir redresser des photos pour garder une page de cahier dans mon iPhone, ça n’en est pas une. Rien ne le justifie.

Il y a une application pour ça

Des applications existent déjà pour ça, elles n’ont pas besoin de papier spécial, ni de s’enregistrer, ni d’envoyer nos données personnelles à une multinationale de plus. Et d’ailleurs avec iOS 11 qui vient de sortir, l’application Notes intègre déjà cette fonction, sans ajout de logiciel :

conclusion

Après cette douche froide, je pensais que j’allais écrire un test extrêmement rapide. Un peu à la manière de cet article, j’imaginais parler de l’inscription, du fait que j’ai jeté l’app à cet instant, et basta. Mais finalement je n’ai pas résisté, il a fallu que j’exprime tout mon mécontentement sur toutes les étapes de mon expérience client. Plus de mille mots, trois paragraphes, avant même d’avoir utilisé l’application : c’est qu’il y a vraiment un problème.

  1. Le piratage d’Oxford est possible aussi, mais en passant par les serveurs de Bit.ly, hyper connu, hyper tentant pour les pirates, et par ceux d’Oxford, on multiplie les risques.

4 réflexions sur « Test de Scribzee : le cahier connecté par Oxford »

  1. Ophélie

    Merci pour cet article, je sais maintenant que je ne vais pas m’embêter avec cette fonction de mon cahier (que j’ai moi aussi acheté totalement par hasard) . C’est une façon de rentrer dans la vie privée des gens sans en avoir l’air et effectivement, ça fait peur. Personnellement, si j’achète un cahier c’est bien pour que mes écrits restent loin d’internet.. 🙂

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  2. coz

    Merci d’avoir fait le test de l’appli et d’avoir rédigé cette analyse, elle a le mérite d’éclairer les esprits. J’ai aussi acheté un cahier par erreur et je pense le retourner au magasin au plus vite.

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  3. Pierre

    Bonjour,
    Bit.ly est un raccourciceur d’url. Il s’agit en fait de https://bitly.com/. Je ne pense pas qu’il y ait de lien avec la Lybie. C’est comme https://huit.re/ qui est le raccourciceur de framasoft basé en France et pourtant en .re et pas .fr
    Maintenant, je suis assez d’accord avec votre conclusion : obligé de créer un compte pour stocker ses écrits on ne sait où … je ne suis pas fan
    Merci pour votre article

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    1. Timekeeper Auteur de l’article

      Bonjour, il n’y a pas de « lien » entre l’entreprise Bitly et la Libye, par contre, chaque domaine internet est régie par une autorité qui en défini les règles d’utilisation. Le « .re » fait référence à l’île de la Réunion et est géré par l’AFNIC qui est très large sur les utilisations possibles, puisqu’elle autorise à acheter un .re pour toute entreprise voulant « marquer [son] appartenance territoriale ou de cibler spécifiquement ce public en faisant jouer le lien de proximité » (source).

      Ces règles peuvent évoluer, par exemple le « .fr » était auparavant réservé aux ressortissants Français, alors que n’importe quel Européen peut maintenant en acheter un.

      Pour en revenir aux contraintes à long ou moyen terme de certaines extensions, je citerai d’abord le « .tv » utilisé pas pas mal de chaînes de télé (TF1 l’utilisait pour son service Wat.tv et même Renault indiquait il y a quelques années « renault.tv » dans ses publicités télévisées). Mais c’est risqué : le « .tv » appartient aux îles Tuvalu, qui sont en train de couler et devraient être englouties sous l’eau d’ici quelques années. Ils avaient demandé la création de leur extension dans les années 90 afin de gagner de l’argent et sont très ouverts sur la vente de domaines en « .tv », mais qu’adviendra-t-il des sites en « .tv » le jour où les Tuvalu cesseront d’exister ? Imbroglio juridique et combats d’opportunistes sont à prévoir. Donc prendre un domaine en « .tv » est risqué.

      Pour Bitly, j’ai mis dans l’article un lien vers un article du site Numerama qui explique bien le problème : les règles imposées par la Libye pour l’usage du « .ly » ne sont pas compatibles avec le concept de Bitly. Du jour au lendemain la Libye pourrait décider de couper le nom de domaine car le site ne respecte pas la charia. Je ne sais pas trop où en est la prise de conscience chez Bitly : l’URL bit.ly renvoit sur bitly.com, mais les URL générées le sont toujours en bit.ly. J’imagine qu’ils préfèrent économiser trois caractères en continuant d’utiliser l’ancienne URL, et si le « .ly » venait à ne plus fonctionner, ils inviteraient leurs utilisateurs à simplement modifier le début de l’adresse dans les liens devenus inopérants. Mais tous les messages sur le web ne sont pas facilement éditables. Un tweet ou un QR code dans un cahier, par exemple, ne sont pas modifiables.

      Et puis même sans aller jusque là : Oxford n’avait ici aucun intérêt à utiliser un raccourcisseur d’URL : l’accès à cette URL se faisant par scannage d’un QR Code, que l’URL derrière soit simple ou complexe, on s’en fiche totalement, notre appareil va s’y connecter tout seul, nous n’avons pas à entrer la-dite URL au clavier. Qu’elle soit longue ou courte, la manipulation est la même, il suffit de prendre une photo. Donc passer par une société externe — qui n’est même pas un prestataire, Oxford n’a pas de contrat avec Bitly, qui n’a aucune obligation de résultat envers Oxford — est complètement idiot. Si Bitly a un problème technique, si Bitly met la clé sous la porte (ou, donc, si leur extension « .ly » est coupée par la Libye), alors le site d’Oxford n’est plus accessible et Oxford ne peut rien y faire.

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