Crime d’amour : Passion en moins passionné

Fin mars, je découvrais Passion de brian De Palma et en même temps l’existence d’un film français que le réalisateur américain avait adapté à sa sauce : Crime d’amour, réalisé par Alain Corneau. Tout juste deux mois plus tard, #PasCannes 2013 était l’occasion de voir cette version originale.

affiche-crimedamouraffiche-passion

L’histoire est exactement la même. Isabelle (Ludivine Sagnier ou Noomi Rapace), la jeune numéro deux d’une agence de communication, se laisse bouffer par sa supérieure Christine (Kristin Scott Thomas ou Rachel McAdams) qui passe son temps à lui piquer ses idées, la faire culpabiliser, et en même temps la draguer. Jusqu’au jour ou Christine l’humilie en public. Isabelle craque, sombre dans les médicaments. Peu de temps après, Christine est assassinée.

Le traitement lui, à la manière d’autres remakes comme True Lies (vision américaine et hallucinée de la Totale de Claude Zidi) est partiellement identique, et en partie bien différent. Et par différent il faut comprendre gonflé aux hormones.

jpeg_snap - maison - Capture d’écran 2013-05-30 à 19.56.04 snap - maison - 19194420

En entament la lecture de Crime d’amour en ayant en tête Passion, c’est tout d’abord la ressemblance qui saute aux yeux. Le film commence de la même manière, en fin de soirée dans le salon de Christine, dans un décor moderne aux tons neutres. Peu après dans les bureaux de l’agence, même sentiment : immeuble de verre et bureaux froids, l’esthétique de Crime d’amour et soignée, suffisamment pour que Brian de Palma la reprenne telle-quelle, excusez du peu.

jpeg_snap - bureau seule - Capture d’écran 2013-05-31 à 10.32.42

jpeg_snap - bureau seule -

 

Le scénario quand à lui, est un petit peu plus simple. Dans Crime d’amour Alain Corneau nous montre l’héroïne assassiner son bourreau et s’accuser du meurtre, ne laissant qu’une question au spectateur pendant toute la deuxième moitié du film : quel est son plan pour sortir de prison, comment va-t-elle prouver son innocence. Forcément De Palma a ajouté des choses (beaucoup de choses), notamment, comme il est de coutume dans un remake, pour relancer l’intérêt auprès des spectateurs qui connaissent déjà l’histoire. Ainsi, Passion utilise un assassin masqué afin de préserver le suspense : si l’héroïne se comporte comme dans le film original, le doute est là et, de l’amant volage à la secrétaire ambiguë, tout le monde peut avoir commis le meurtre.
Crime d’amour est ainsi un thriller beaucoup plus classique, avec une histoire tordue certes, mais qui guide le spectateur tout le long, sans jamais l’emmener se perdre sur plusieurs pistes à la fois, jusqu’à son obligatoire révélation finale.

Mais au delà de son histoire moins compliquée, le film de Corneau m’a un petit peu gêné de part ses tiques de « film français« .

Mais putain Timekeeper, c’est quoi un « film français«  pour toi ?

Me demande alors, à ce propos et en de meilleurs termes, un ami.
Un « film français« , avec de très grosses guillemets, c’est un truc fait par un Auteur qui tourne son film comme s’il écrivait un roman. Un « film français«  c’est limite dogmatique, ça utilise le moins de mouvements de caméras possibles, ça adore le champ / contre-champs à répétition et si les acteurs peuvent réciter comme dans une pièce de théâtre de 1639 c’est encore mieux. En fait un « film français« , dans ce que l’expression a de plus péjorative, ça ressemble à un vieil épisode de Julie Lescaut.
Comme si l’image ne comptait pas. Comme si l’histoire seule se suffisait à elle même. Mais dans ce cas là on écrit un roman ! Le cinéma c’est de l’image et du son, on se sert de l’image pour raconter ce qu’on a à dire, bon dieu !
Dès qu’un film n’est pas assez imaginatif dans sa forme, ça m’agace.  Je ne suis pas anti plans fixes, mais ça doit servir l’histoire.
J’ai le sentiment que, parfois, en France, certains metteurs en scène pensent qu’une caméra trop mobile, une Steadicam ou simplement un acteur qui parle de dos ou hors-champs, c’est idiot, inutile, voir réservé aux blockbusters hollywoodiens. On frôle l’anti-américanisme et ces gens là devaient être de ceux qui crachaient sur Spielberg il y a vingt ans parce que les extraterrestres et les dinosaures, c’est pour les enfants.

Je dis non, simplement. Non, je dis merde, carrément.
C’est assez clair ?

De ce point de vue Crime d’amour n’est pas trop caricatural. Mais tout de même. La réalisation est bien souvent platonique, les plans fixes s’accumulent, au point qu’à l’occasion du crime, un simple mais efficace travelling avant aura réussi à me surprendre.
Du côté des acteurs, Ludivine Sagnier est irréprochable, mais les réplique de Kristin Scott Thomas raisonnaient souvent mal à mon oreille. Ses tentatives de draguouille sur Christine sont complètement à côté de la plaque et dans ces moments là j’avais souvent l’impression qu’il manquait quelque chose à la fin de ses phrases. Pas forcément un mot : un point aurait suffit. Patrick Mille est parfait également, mais son personnage moins profond que chez De Palma. Sa petite magouille financière parait moins importante, et Paul Anderson dans le remake est plus… virile. Ajoutez à ça l’image de gentil gay dans Clara Sheller et d’adorable brésilien dans le personnage de Chico qui lui collent à la peau, et vous finissez de diluer son impact.

jpeg_snap - nuit question - Capture d’écran 2013-05-31 à 10.29.34

jpeg_snap - nuit question - Capture d’écran 2013-05-31 à 10.51.31

En haut une focale qui change selon le personnage qui parle.
En bas une double focale (« split diopter » en anglais) qui a de la gueule.

Tout ça n’est pas bien grave ; par contre durant la seconde partie du film, nous avons à faire à l’autorité judiciaire. Les flics et le juge sont d’une mollesse ! C’est déprimant (et de mémoire, pas tellement mieux dans le remake).

Enfin, les dernières minutes du film enchainent de petits défauts, de petits détails qui auraient du être soignés mais qu’on ne soigne jamais dans les « films français« . Des extrait d’émission de radio qui sonnent faux. Le coup de téléphone d’un banquier, mais bon sang QUI parle avec une telle prestance au téléphone !? Il y a TOUJOURS au moins une hésitation, un « euuuh », une syllabe qui dure, un chevauchement entre les deux interlocuteurs, au téléphone. Et la manière qu’a Ludivine Saigner (irréprochable donc, sauf ici) de conclure l’entretien, la voix montante mais sans attendre de réponse… On dirait une première répétition avant que le metteur en scène ne corrige ses comédiens.
Je suis peut-être tatillon, mais à ce moment du film j’étais prédisposé. Juste avant, on avait atteint des sommets de connerie. Dans Passion Noomi Rapace recherche une écharpe qui aurait pu tomber derrière le tiroir d’un meuble à vêtements. Le bon gros tiroir coulissant d’un meuble intégré, peut-être sûr mesure, qui ne peut se retirer. On pourrait déjà discuter de pourquoi ce tiroir ne peut pas s’enlever, ça m’avait gêné à l’époque. Mais là… On demande à Ludivine Saigner de tendre le bras au fond d’une… vulgaire étagère avec en guise de tiroirs des bacs en bois posés dans les rayonnages. D’immenses rayons bien grands et bien vides une fois les tiroirs boites retirées. Qu’on m’explique pourquoi elle joue aux jarres de Fort Boyard au lieu de, CONNEMENT, regarder au fond ? Si son écharpe était passée derrière la boite, où aurait-elle bien pu aller, si ce n’est sur le rayon ? Qu’est-ce qu’elle cherche ? Ou plutôt, où essaye-t-on de nous montrer qu’elle cherche ? Bon dieu, il y a toute une ville miniature cachée au fond du placard ? C’est le casier de gare de Men in Black II dont elle a hérité ?

ok - tiroir - IMG_1913

Face à l’absurdité de la situation, le comédien perd son personnage de policier et fait la même tête que moi.

Je passe rapidement sur la réplique qui, employant le mot « placebo« , se sent obligé d’ajouter la définition du mot juste après, parce que le dialoguiste (sans doute le scénariste (sans doute le réalisateur)), pour tout faire lui-même, est plus intelligent que la moyenne, donc il pense aussi au petit peuple qui risquerait d’être largué. Sérieux… ce moment gênant où j’ai l’impression d’être pris pour un con.

Rapidement encore la musique. Assez proche de celle de Passion, elle est pourtant assez désagréable au final. Alors que celle du remake m’évoque le formidable Boléro de Femme fatale,  les thèmes de Crime d’amour sont plutôt fades et le solo de saxophone est même franchement déprimant.

Et c’est dommage parce que malgré ces petits détails et grosses ficelles, le film s’en sort bien, dans son genre. Qui n’est pas trop mon genre. Le thriller, qui s’amuse avec le spectateur avant un twist final parfois complètement fou-mais-on-s’en-fou, ce n’est en général pas ma tasse de thé. Si je n’avais pas connu Passion, et tous ses ajouts De Palmesques, j’aurais peut-être moins été emballé par le scénario. Et encore, puisqu’il n’y a aucun suspense sur l’identité de l’assassin, le thriller s’évapore un peu et le twist n’est pas si passionnant que ça.

Pour revenir une dernière fois sur Passion, je voudrais rappeler que le film de Brian De Palma ne m’a pas totalement convaincu. J’avais déjà reproché à Passion sa froideur et son histoire un peu tirée par les cheveux, retenant plus que tout la maitrise technique du réalisateur.
Du coup, redécouvrir l’histoire expurgée de ses grandiloquences est intéressant mais le résultat manque de motivation.

Si au moins je pouvais qualifier Passion de film Hollywoodien. Ou au moins de film américain. Mais même pas, c’est une co-production européenne (principalement franco-allemande). Tourné en anglais par un New-Yorkais avec une Canadienne et une Suédoise (qui perce aux USA, certes).
Mais on ne peut pas dire que Passion ai quelque chose d’Hollywoodien. Ni que Brian De Palma soit un réalisateur classique de Hollywood. Là ou même Spielberg produit Transformers, un Transformers par De Palma serait sans doute génial mais n’aurait rien à voir avec la saga de blockbusters que l’on connait. D’ailleurs son Mission to Mars commandé par Disney se révèle extrêmement… hum, surprenant, pour un film d’aventure, œuvre de commande d’un grand studio familial.

Comparer Crime d’amour et Passion, ce n’est pas comparer le cinéma français et le cinéma Hollywoodien. C’est comparer le cinéma franchouillard avec le cinéma d’un Américain,  plus perfectionniste. Pas que tous les Américains soient perfectionnistes, mais [si je fini cette phrase je vais dire quelque chose de méchant] Crime d’amour, comme de nombreux « films français«  ressemble par certains aspects à un Paul W. S. Anderson [désolé]. On a une idée, mais on ne se donne pas tous les moyens de la réaliser. On bricole. On se dit que ça ira comme ça. Je pourrais pousser la comparaison jusqu’au spectacle de fin d’année dans les écoles, je me contenterais de signaler de des réalisateurs Français intéressés par le style, ça existe. Dans La Haine Mathieu Kassovitz film en noir et blanc et se permet la double focale, si chère à De Palma.

Sur un sympathique sujet de thriller, Brian De Palma ajoute, sa patte oui, mais aussi au final tout ce qui fait le sel d’un film copieux, chargé en informations, qui donne envie d’y revenir. Alain Corneau filme un bisou dans le cou, De Palma montre des baisers saphiques. Corneau évoque une draguouille de la supérieure dont on ne mesure la véracité, De Palma multiplie les lesbiennes comme d’autres multipliaient les pains. Corneau fait s’interroger Isabelle sur la façon dont Christine prend son pied (sans réponse), De Palma la montre sado-maso.

jpeg_snap - duculduculducul - Capture d’écran 2013-05-31 à 10.31.15 jpeg_snap - duculduculducul - Capture d’écran 2013-05-30 à 19.58.37

Crime d’amour est plaisant, mais manque un peu d’audace.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.