« Lucy » de Luc Besson

Quand Luc Besson sort un nouveau film, ce n’est plus un événement. Descendues par la critique depuis ses débuts, de moins en moins suivies par le public ces quinze dernières années, dissolues au milieu de ses productions polémiques, les réalisations Besson semblent ne plus exister que pour animer la rubrique cinéma de journaux télés co-producteurs et de journalistes ciné-snippers. Comme si Besson n’était plus qu’un souvenir, un cadavre que sa famille agitait avec des fils pour entretenir le mythe.

Dans ces conditions, fallait-il attendre grand-chose de son nouveau film ? Bâh c’est pas facile de renier le type qui a pondu Nikita, Léon et le Cinquième élément, pour ne citer qu’eux, quand-même. Je dirais même plus, ça ne se fait pas. Donc oui, on pouvait toujours espérer. Comme d’autres réalisateurs qui semblent avoir perdu leur mojo, on espère toujours que Besson refera un grand film. Comme les fans de Renaud attendent qu’il refasse de grandes chansons. Après tout, ne voit-on pas régulièrement Depardieu redevenir un acteur de talent ?
La seule présence de Scarlett Johansson pouvait attirer l’attention (d’une partie (masculine (hétéro (et lesbienne))) du public). L’histoire très tirée par les cheveux pouvait faire fantasmer (elle aussi) sur quelque chose entre Léon et le Cinquième élément, peut-être, éventuellement, qui sait. La BA sortie il y a quelques mois faisait assez peur, mais dernièrement le succès surprise du film aux USA, et ses bonnes critiques là-bas, redonnaient espoir.

Premium Crush

Oui mais non. Je ne m’éterniserai pas sur ce qui a déjà été dit un peu partout. Je suis horrifié de voir qu’autant de critiques, pro, amateur, print, web, … tombent d’accord pour souligner que le film ne dure qu’1h30 et que c’est l’élément principal qui le rend regardable. Rappelons quand-même le scénario : en absorbant une nouvelle drogue en trop grande quantité, les capacités cérébrales de la jeune Lucy s’en retrouvent décuplées. Transformée, détruite à jamais, elle n’a plus que deux choix : laisser ses cellules la tuer ou récupérer un maximum de drogue pour survivre le plus longtemps possible en continuant d’augmenter ses capacités cérébrales.

C’est là, à peine introduit, que le film commencer à merder grave. S’inspirant de cette histoire connue de tous qui voudrait que « l’Homme n’utilise que 10% des capacités de son cerveau », le film se demande ce que ferait un être humain avec 100% de temps de cerveau indisponible. On nous promettait une héroïne « badass ». On récolte une fille bien gentille qui se pose la même question. Lucy obtient des capacités extraordinaires, elle pourrait faire n’importe quoi, mais tout ce qui lui importe, en fait, c’est de transmettre ses connaissances. Putain ce que c’est badass !!! Est-ce que Korben Dallas fait un constat quand il raye une carrosserie ?

Lucy avait pourtant toutes les cartes en main pour devenir une super-héroïne. On le voit dès l’absorption de la première dose de drogue, Scarlett se met à flotter, à léviter puis à ramper au plafond. Et puis ? Et puis plus rien. Jusqu’à la fin du film où elle découvrira succinctement une sorte de pouvoir de téléportation et de voyage temporel, à moins que ce ne soit autre chose encore, OSEF ce n’est pas clairement défini, elle ne flottera plus. Lucy passe le reste du film a avoir besoin d’un flic pour la conduire dans Paris. Alors que la ligne droite, le vol d’oiseau, c’est quand-même nettement plus rapide, même s’il s’agit de simplement flotter à 20 mètres au dessus des rues, Tornade et Magnéto vous le dirons mieux que moi. Mais non. La meuf lévite déjà à 20% de ses capacités cérébrales, puis développe un sonar de dauphin, voit les atomes, se met à penser comme Jean-Claude Van Damme (je vous jure), peut faire flotter ses adversaires parce que c’est joli (des méchants Chinois qui flottent en agitant les bras : y’a un côté manga), mais elle jamais ne vole. Gentil flic est là pour la conduire. Lucy l’embrassera même à un moment pour lui faire comprendre qu’elle a absolument besoin de lui, et je me demande encore pourquoi : il n’y aura plus aucune référence à ce début de commencement de love interest, alors que j’espérais une torride scène de cul dans un but purement reproductif (sauvegarder son patrimoine génétique).

La Classe américraigne

Remarquez que ça aurait un peu ressemblé à la Mutante, mais ça n’aurait été qu’une référence de plus. Si Lucy m’a semblé vide de sens, de but, d’idées, d’à peu près tout, il s’inspire par contre d’à peu près tout ce qui existe en SF à ce jour. Besson dans son étonnante note d’intention citait Léon, Inception et 2001, l’Odyssée de l’espace. Mais Lucy c’est surtout, dans une photo assez froide et sèche qui m’a fortement déplue, une liste de films qu’aurait vu (et aimé, au moins ?) Besson. Matrix forcément, X-Men, plus récemment Limitless et The Tree of Life, j’en saute énormément qui ne me reviennent plus. Le passage de Scarlett sur Times Square pourrait même sortir du clip Ray of Light de Madonna. Au final c’est bien avec 2001 que j’ai le plus de mal à trouver des liens, il ne suffit pas de montrer le Big-bang en CGI pour faire référence à Kubrick. Sans la note de Besson, j’aurais plutôt pensé à la fin de Men in Black.

Ce manque de personnalité n’aide pas à s’impliquer dans le film, pas plus que les ficèles grossières qui parsèment le récit. Une ceinture utilisée comme un fouet qu’on lance autour du pied d’une table pour la tirer vers soit ? Bâââh voyons ! La démonstration que fait Lucy de ses pouvoirs à Morgan Freeman, à distance, est assez ridicule également. Ou encore Lucy qui demande à Gentil flic de protéger la pièce tout seul alors que des dizaines de Chinois armés jusqu’aux dents vont débarquer, car elle est « occupée ». Pfffiiiiiouuuuuu… Quand le film ne repompe pas, il prend des raccourcis énormes. C’est fatiguant, on ne peut jamais s’intéresser à un sujet, une idée : non dans ce divertissement, c’est « tais-toi et regarde ». « Ne pense pas ». Ou, idéalement, « bois ton champagne et allonge-toi sur le matelas de ton cinéma EuropaCorp aux suppléments hors de prix ». OBEY !

L’Attaque de la femme aux 100%

Et puis cette idée d’atteindre les 100% d’utilisation du cerveau, en fait, elle est absurde à bien y réfléchir. Partir des 10% c’est très bien, je suis d’accord. Mais vouloir aller aux 100% c’est crétin. Même Morgan – la Science – Freeman ne sait pas ce qui se passera, mais pourtant on est sûr qu’il se passera quelque chose. Sans spoiler la fin, oui, il se passe quelque chose. Lucy évolue durant tout le film, mais arrivé à 100%, il se passe un plus gros quelque chose et le film se termine dessus. Attendez deux secondes : pourquoi 100% ? Lucy perçoit – entre autres choses – les ondes, émises notamment par nos appareils électroniques. Plus son cerveau se développe, plus elle contrôle le monde qui l’entoure, mais pourquoi l’Humain aurait-il besoin d’exactement 100% de ses capacités mentales pour devenir – comment dire sans spoiler – la super-héroïne qu’on attend depuis le début ? Déjà il faut que cela soit à porté du cerveau humain, à sa hauteur. On pourrait imaginer qu’il faille 657% des capacités du cerveau humain pour atteindre un tel stade d’évolution. Ou au contraire que 83% suffisent. Non, c’est 100%. Ça me gène. C’est comme si on pouvait prédire exactement à quelle température/pression une chaudière allait exploser. Non : on a un manomètre qui indique une pression normale, on a une zone rouge dans laquelle il ne faut pas aller, mais à quel endroit de la zone rouge ça va péter, ça on ne peut pas le prédire précisément.

Labo Story*

Dans le même genre, quand Freeman développe sa théorie il donne l’exemple d’animaux qui utilisent chacun un pourcentage différent de *leur* cerveau, mais ces pourcentages sont tous inférieurs aux 10% humain, sauf le dauphin qui utilise 20% de *son* cerveau ce qui le rend plus intelligent que l’humain (il a un sonar). Putain mais non, tu compares pas des pourcentages sur des cerveaux qui n’ont pas la même taille ! Faites rouler une Smart et une Formule 1 à 10% des capacités de leur moteur, elles n’iront pas à la même vitesse.

* « Quand-même, ça marche mieux avec une pute »

 

Taxi clandestin

Partir d’une idée de base aussi ouverte et ne rien en faire de plus qu’un sous-Matrix IRL c’est frustrant. Si au moins côté action et réalisation c’était l’orgasme. Mais non. À force d’écrire des scénarios cul-culs pour les fameuses « productions Besson », Luc semble ne plus savoir faire que ça. Malavita était déjà particulièrement chiant, mais cette fois Besson semble avoir totalement disparu derrière le style si caractéristique de ses productions d’action. Lucy ne ressemble pas à un Besson. C’est terrible à dire, mais Lucy ressemble à un Taxi, à un Transporteur, à un Taken. Aux premiers de chaque série si vous voulez, les meilleurs, et encore j’aime un peu trop Taken, disons que Lucy ressemble à Taken 2. Ici comme ailleurs, les méchants sont Chinois et les flics de France… et bien oui : ils sont cons. Hallucinante scène – se voulant drôle je crois – où les Chinois en costume sortent leurs mitraillettes des coffres de plusieurs grosses berlines noires, devant les voitures de dizaines de flics qui débarquent – en état d’alerte pourtant – mais ne voient rien. J’étais pas venu voir Taxi 5. Après avoir perdu son mojo Besson commence à s’auto-parodier et ça me semble assez inquiétant 🙁

Tout n’est pourtant pas totalement mauvais dans Lucy, même si j’ai surtout eu du mal tout le long avec la photo et la réalisation quasiment totalement effacée de Besson. Le coup de téléphone de l’héroïne à sa mère, même s’il arrive (forcément) un peu tôt, offre un long plan en travelling avant/arrière sur Scarlett du plus bel effet, sans doute le seul plan Bessonien du film. Scarlett Johansson est totalement impliquée dans son jeu et ne démérite pas (coucou Robert et Tommy Lee dans Malavita…). L’évolution des pouvoirs de Lucy est tellement fluide que je ne saurais expliquer pourquoi-comment, mais ça se faisait naturellement, au milieu d’un plan, sur un petit détail je me disais « oh, là on a passé un cap ». Les images de l’espace qui apparaissent à la fin du métrage sont très belles. Les images d’archives durant l’exposé de Freeman n’étaient pas sans me rappeler le préshow du Visionarium non-plus, j’en aurais presque versé ma petite larme 😉
Mais ces quelques bons moments ne font pas un film et malheureusement Lucy ne mérite pas de gâcher 10 à 15 euros au cinéma, une diffusion télé sera largement suffisante.

Lucy, 1/5 étoiles sur Vodkaster.

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